Réchauffement climatique : une lutte sur tous les fronts
En 2015, la COP21 a permis une prise de conscience forte, formalisée par les engagements de nombreuses parties prenantes avec un objectif majeur : limiter le réchauffement climatique en deçà de 2 °C en 2100. La tâche est ambitieuse. Actionner tous les leviers est donc nécessaire. D’ici à 2035, notre ambition est que l’ensemble des métiers bas carbone représente près de 20 % de notre portefeuille tout en veillant à la croissance rentable de ces activités. Pour sa part, la Fondation d’entreprise TotalEnergies s’engage à soutenir des projets de préservation des zones littorales et des océans.
Arona Diedhiou | Peter Kristensen | Françoise Gaill |
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Le littoral de l’Afrique s’étend sur 26 000 km | ![]() |
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20 m de côtes sont perdus tous les ans en Afrique de l’Ouest La moitié du littoral ouest africain est classée au risque d’érosion - Médiaterre (mediaterre.org) |
3,7% des émissions de GES pour 15% de l’humanité | ![]() |
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7 grandes villes africaines menacées d’être submergées par la montée des océans d’ici 2100, comme Abidjan, Alexandrie, Lomé ou Le Cap (étude publiée le 21 mai 2019 par l’Académie américaine des sciences) |
L’océan absorbe près de 30% du CO2 émis par les activités humaines et emmagasine 92 % de la chaleur dégagée par ces émissions | ![]() |
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Où en est aujourd'hui le réchauffement climatique, en particulier en Afrique ?
Malgré les nouveaux engagements de neutralité carbone en 2050 de l’Europe, des États-Unis, du Japon, de la Corée ou de la Chine, le monde se situe dans une trajectoire de réchauffement de 2,7 °C environ. L’Accord de Paris vise à la maintenir en deçà de 2 °C. On le sait désormais, c’est 1,5 °C qu’il faut viser. Cela implique de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050. Le continent africain n’en émet que 3,7 %, alors qu’il héberge 15 % de l’humanité. Parallèlement à l’effort d’atténuation, les enjeux d’adaptation de l’Afrique au réchauffement climatique se font pressants. La hausse des températures devrait y être jusqu’à une fois et demie supérieure à la moyenne mondiale. Les dégradations climatiques peuvent y renforcer l’instabilité et entraver la mise en œuvre des objectifs de développement durable.
La crise du Covid-19 et le ralentissement de l'activité mondiale ont-ils eu un impact sur le climat ?
La crise du Covid-19 et le ralentissement de l’activité mondiale ont-ils eu un impact sur le climat ? Les émissions ont chuté en 2020, mais insuffisamment pour s’inscrire vers une baisse de 80 %. Pour cela, il faudrait sans doute deux confinements quasi généralisés tous les ans. C’est dire l’ampleur de la tâche ! Les émissions sont reparties à la hausse dès fin 2020, tirées par les transports et l’électricité au charbon. C’est préoccupant car il faut amorcer d’urgence une baisse continue et forte. Plus cela tarde, plus raide sera la pente à suivre, ou plus importantes seront les dégradations et les déstabilisations.
Quel rôle les scientifiques doivent-il jouer dans l'après coronavirus ? La jeunesse ?
Les scientifiques n’ont de cesse de préciser leurs connaissances sur le climat et les liens avec la biodiversité. Ils doivent étudier les stratégies d’adaptation et de compensation, leur efficacité et leurs impacts à long terme. La jeunesse des pays riches a exercé une mobilisation et une pression considérables sur les gouvernements et les entreprises. Nombre d’entre eux ont été pris de court. Impossible désormais de gagner une élection sans politique climatique ambitieuse ! La prochaine étape sera la judiciarisation du conflit climatique, car la voie politique est généralement insuffisante.
Quelles sont les actions marquantes déployées en Afrique contre le réchauffement climatique ?
Le continent doit renforcer l’accès à une électricité propre et bon marché, et mettre en œuvre des mesures d’adaptation. Cela passe par l’agriculture résiliente, la gestion de l’eau, la pêche, la préservation des forêts, la lutte contre la désertification et, bien sûr, des villes qui ne soient plus suffocantes mais respirables et vivables. De nombreuses petites actions sont menées en ce sens. Cela reste insuffisant. D’autres projets, comme la grande muraille verte, sont trop ambitieux pour se concrétiser. Ces enjeux d’adaptation et d’atténuation demandent des financements importants. Or, le développement durable est toujours plus prégnant dans l’aide des institutions internationales. Les États africains savent que son octroi sera soumis à des critères environnementaux. Ils attendent aussi que les pays riches mobilisent enfin les 100 milliards de dollars par an promis pour soutenir les pays émergents face au réchauffement climatique. Cette aide vitale doit aller de pair avec une réforme de la gouvernance dans nombre d’États subsahariens. Il faut lever aussi des capitaux privés. Et mettre fin à la déforestation importée ou à la pêche illégale : c’est une double peine qu’infligent les pays riches...
"Il faut amorcer d'urgence une baisse continue et forte des émissions."
Marc-Antoine Eyl Mazzega, directeur du Centre Énergie et Climat de l’Ifri
Le point de vue d'un spécialiste du système climatique africain
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Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement et Co-directeur du Laboratoire mixte international NEXUS, climat, eau, agriculture, énergie, Arona Diedhiou était en 2018 auteur principal du rapport spécial du GIEC1 sur les incidences d’un réchauffement climatique à 1,5°. En 2023, le spécialiste du système climatique africain sera évaluateur-éditeur de leur prochain rapport. |
Quelles sont d'après vous les interactions entre climat, littoraux et océans ?
L’océan représente 70 % de la surface du globe. On l’oublie souvent mais il joue un rôle majeur de régulation du climat et de la vie sur Terre. C’est une notion que l’on appréhende mieux lorsque l’on sait que les océans émettent 50 % de l’oxygène que nous respirons et qu’ils captent 90 % de l’excès de chaleur engendré par les activités humaines ! Leur rôle est cependant de plus en plus mis à l’épreuve, comme le montrent le réchauffement des eaux et l’évolution du niveau de la mer. Le réchauffement climatique, qui devrait atteindre entre 1,5 et 2 °C entre 2030 et 2050, aura des conséquences nombreuses, y compris sur les littoraux déjà gagnés par l’érosion. L’Afrique est à ce titre particulièrement concernée puisque de Nouakchott à Lagos, la mer grignote la côte à raison de 1 à 3 % par an. Il est d’ailleurs intéressant de noter que toutes les capitales d’Afrique de l’Ouest se situent sur ces côtes.
A quel degré l'Afrique est-elle impactée par le changement climatique ?
La plupart des modèles climatiques estiment qu’un réchauffement de 2 °C au niveau mondial s’illustrerait localement par une hausse des températures en Afrique. Les conséquences ne seront toutefois pas uniformes, d’une région à l’autre, du fait notamment de la diversité du couvert végétal. Ainsi, la présence d’une végétation dense dans le bassin du Congo devrait avoir pour effet d’atténuer la hausse des températures, à la différence de ce qu’on anticipe dans les zones sèches ou désertiques. Autour du Sénégal par exemple, il faut s’attendre à une baisse significative des précipitations et des rendements divisés par deux si rien n’est fait pour inverser la tendance. Sur la zone du Sahel central, il y a plus d’incertitudes mais on peut vraisemblablement s’attendre à une augmentation des fortes précipitations ainsi qu’à des glissements de terrains. En Afrique du Nord, il est question à la fois d’une hausse des fortes pluies et des périodes de sécheresse plus longues.
Selon vous, quels leviers l'Afrique doit-elle activer pour avancer dans ce contexte ?
L’Afrique doit avant tout passer du statut de victime à celui d’acteur ! Il est de notre responsabilité de protéger notre environnement. Le parc automobile vieillissant, l’utilisation du feu de bois, la déforestation sont autant de problématiques que nous devons régler. Cela passe entre autres par l’éducation. Cela passe aussi par la participation des chercheurs africains à la réflexion mondiale autour du Climat. Même si des efforts ont récemment été réalisés, je note que le GIEC réunit encore trop peu de chercheurs africains. Mon rêve serait d’organiser un comité GIEC local. Notre savoir-faire et nos réalités doivent impérativement être pris en compte. Un simple exemple : la manière dont les cartes représentent la végétation en Afrique est trop grossière. Il faut faire l’effort de réaliser un véritable inventaire des sols pour que ces cartes soient fidèles à nos réalités. Mais il y a évidemment un problème de ressources et de fiabilité des données. L’Afrique manque de supercalculateurs nécessaires à la gestion de ces données. Il est donc aujourd’hui important d’abonder le fond vert et d’accélérer le transfert de solutions techniques vers l’Afrique pour que puissent se construire des réponses africaines aux enjeux africains.
"Le parc automobile vieillissant, l'utilisation du feu de bois, la déforestation sont autant de problématiques que nous devons régler."
Arona Diedhiou, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement et Co-directeur du Laboratoire mixte international NEXUS
Pointe-Noire, République du Congo
Les littoraux vus par Peter Kristensen
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Spécialiste en chef de l’environnement à la Banque mondiale, Peter Kristensen a plus de 25 ans d’expérience dans la gestion des espaces côtiers et marins, le changement climatique et la biodiversité. Il pilote depuis 2018 le Programme de gestion du littoral ouest Africain (WACA). |
Quelles sont les interactions entre climat, littoraux et océans dans le contexte du changement climatique ?
Le changement climatique va aggraver les problèmes d’érosion auxquels les zones côtières d’Afrique de l’Ouest sont confrontées. Il provoque une élévation du niveau de l’océan et une hausse de la fréquence d’événements météorologiques extrêmes, avec des tempêtes sévères qui submergent le littoral. Une baisse des précipitations pourrait aussi diminuer le débit des cours d’eau, donc les dépôts de sédiments. De plus, l’effet combiné de températures plus élevées et d’une salinité plus forte des estuaires et des nappes phréatiques accentuera les changements biophysiques des ressources naturelles du littoral.
Quel est votre constat aujourd'hui ?
Ces dernières décennies, la croissance rapide des populations, leur migration vers les zones côtières, l’urbanisation et le développement économique ont exacerbé la pression sur le littoral d’Afrique de l’Ouest qui a un trait de côte meuble et sableux, donc très vulnérable. Ces espaces côtiers abritent un tiers de sa population et génèrent 56 % de son PIB.
Leur stabilisation artificielle, la détérioration des formations naturelles, la construction de nombreuses infrastructures, dont les ports et les barrages hydro-électriques, le dragage et l’extraction de matériaux ont privé ces zones d’apports sédimentaires importants. Le résultat est l’érosion côtière et le retrait des côtes. La destruction des mangroves accélère aussi le processus. Cette érosion provoque d’importants dégâts. Jusqu’à 20 mètres de côte sont perdus chaque année : des plages sont emportées, des centaines de bâtiments et des milliers d’hectares de terres agricoles ont disparu, et les infrastructures doivent sans cesse être réparées. La dégradation du littoral du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Togo a coûté 3,8 milliards de dollars pour la seule année 2017, ou 5,3 % du PIB des quatre pays. La pollution noircit ce tableau. En Afrique de l’Ouest, la plupart des eaux usées sont déversées dans l’océan sans traitement. Les débris plastiques les ravagent aussi, ainsi que les effluents d’anciennes plateformes pétrolières non démantelées.
Quelle solution proposez-vous ?
La solution pour renforcer la résilience des communautés et des ressources côtières passe par une gestion durable du littoral. Ceci repose sur une gouvernance et une planification spatiale et environnementale de l’espace côtier et marin. Cet effort doit être concerté entre tous ses acteurs, concilier les intérêts économiques, préserver les espaces naturels et respecter les communautés. C’est l’objectif du Programme de gestion du littoral ouest Africain (WACA, en anglais) lancé en 2018 par la Banque mondiale avec les pays de la région, et les institutions économiques et environnementales régionales. WACA est un partenariat qui appuie leurs efforts pour améliorer la gestion des ressources côtières et réduire les risques pour les populations.
WACA facilite le transfert de connaissances et l’accès à l’expertise technique, via une plateforme ouverte sur les meilleurs savoir-faire, et mobilise des financements publics et privés. Nous tablons sur une approche régionale entre pays. Par exemple, le Togo et le Bénin vont réaliser des travaux communs sur leur bande littorale transfrontalière pour la protéger de l’érosion. Depuis son lancement, le programme soutient la résilience côtière dans 22 sites des six premiers pays d’intervention. Au total, 17 pays en bénéficieront. WACA intègre les communautés et les jeunes à ses initiatives, pour qu’ils se les approprient et les soutiennent. Les acteurs privés doivent aussi montrer la voie. Nous collaborons avec l’association des grands ports régionaux, pour définir une norme dans leur gestion des sédiments, des déchets et des émissions de gaz à effet de serre. Face à certains intérêts, passer à l’action en résilience côtière reste un défi en Afrique de l’Ouest, pourtant vital à relever pour sauver son littoral.
Pour plus d’information, visiter www.wacaprogram.org
"Il faut accroître la résilience côtière en Afrique de l'Ouest."
Peter Kristensen, spécialiste en chef de l’environnement à la Banque mondiale

Dakar Sénégal
Les océans vus par Françoise Gaill
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Après une formation en biologie animale, Françoise Gaill entre au CNRS et se spécialise dans l’étude des environnements profonds et l’adaptation aux milieux extrêmes. Elle y dirige le département Environnement et développement durable, puis l’Institut écologie et environnement. Elle est coordinatrice scientifique de la plateforme internationale Océan et Climat dont les actions contribuent à intégrer l’océan dans les solutions relatives au changement climatique. Elle participe également aux travaux des Nations Unies sur l’état des lieux des océans. |
Quelles sont d'après vous les interactions entre climat, littoraux et océans ?
L’océan, le climat et les littoraux sont intimement liés. L’océan est au cœur du système climatique. Pompe à carbone, il absorbe près de 30 % du CO2 émis par les activités humaines. Surtout, il emmagasine 92 % de la chaleur dégagée par ces émissions et nous protège d’un changement climatique radical. Le premier impact du changement climatique est la hausse de la température de l’eau. Sa conséquence immédiate pour l’homme, c’est l’élévation du niveau de la mer, le recul du trait de côte et la dégradation des littoraux.
Quel rôle joue l'océan sur notre planète ?
L’océan rend notre planète habitable. Il est aussi primordial dans le cycle de l’eau. Les courants océaniques contribuent à réguler le climat, en stockant et transportant la chaleur, le carbone, les nutriments et l’eau douce à travers le monde. Sans cet écosystème complexe, il n’y aurait tout simplement pas de vie sur Terre. Ce capital naturel aux ressources énergétiques, minérales et vivantes extraordinaires reste cependant un grand inconnu : moins de 20 % des fonds marins ont été cartographiés. C’est pourtant essentiel : notre capacité à anticiper l’évolution du climat dépend de la connaissance que nous en avons. Sa temporalité est à l’échelle du siècle, sans commune mesure avec la durée de vie humaine. Cette inertie a permis jusqu’ici d’amortir l’impact du changement climatique. Mais nous ne savons pas jusqu’à quand l’océan va pouvoir continuer à réguler le climat en absorbant à la fois le CO2 et l’énergie thermique émise par l’homme. S’il n’y parvient plus, nous aurons du mal à survivre sur Terre… La hausse de la température de l’océan entraîne sa dilatation et la fonte des glaces, donc une élévation de son niveau et la diminution de la salinité, perturbant les écosystèmes. Cette augmentation de température réduit le mixage des zones océaniques, freinant le renouvellement de l’oxygène et multipliant les zones anoxiques, où toute vie est impossible. Par ailleurs, les courants océaniques contribuent à réguler le climat en stockant et transportant la chaleur, le carbone, les nutriments et l’eau douce à travers le monde. Puisque l’écart de température s’atténue entre les tropiques et les pôles, ces circulations thermohalines pourraient aussi potentiellement s’arrêter un jour. D’autre part, le processus d’absorption du CO2 accélère l’acidification de l’océan, réduisant potentiellement la calcification des carapaces de crustacés et des coquilles de mollusques.
En Afrique quelles sont les conséquences du réchauffement climatique sur les océans ?
Il nous faut agir en urgence pour ce bien commun qu’est l’océan. L’Afrique est plus vulnérable que toute autre région au monde. Sur le continent, une grande partie du littoral est faite de sable, ce qui rend ces côtes très vulnérables. Des zones entières vont devenir inhabitables, entraînant le déplacement de populations côtières, le bouleversement des modes de vie, etc. Conséquence du réchauffement des océans, l’Afrique va également subir une baisse importante de ressources vivantes. Les poissons par exemple risquent de migrer vers les régions où les conditions de vie sont plus favorables, affectant les pêcheurs et tous ceux qui se nourrissent de poissons. De vastes régions d’Afrique connaîtront un réchauffement supérieur à 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici les deux dernières décennies de ce siècle, selon les scénarios du 5e rapport du GIEC et une réduction des précipitations est probable en Afrique du Nord et dans le sud-ouest de l’Afrique australe d’ici la fin du siècle. Si nous parvenons à limiter d’ici 2030 le réchauffement climatique à moins de 2 °C, il y aura un effet de latence et l’acidification, la désoxygénation et le réchauffement de l’océan ne baisseront qu’à partir de la fin du siècle.
En revanche l’élévation du niveau de la mer pourrait être proche d’un mètre si nous dépassions les 3 °C. Les pays occidentaux doivent donc agir en urgence pour réduire leurs émissions. Ils doivent aussi soutenir les pays émergents touchés par le changement climatique. Or le fond vert promis à cet effet en 2015 lors de la COP21 n’a toujours pas vu le jour. L’océan est un bien commun de l’humanité. Il faut s’en sentir responsable et s’en occuper. Les nouvelles générations sont très sensibles à ces enjeux. L’éducation et l’appropriation des connaissances par ces jeunes est la voie la plus prometteuse pour changer les mentalités et mener des actions durables.
"L'océan est à protéger pour éviter un changement climatique radical."
Françoise Gaill, coordinatrice scientifique de la plateforme internationale Océan et Climat au CNRS