Engagé pour le dialogue des cultures
La culture, condition et moteur du développement
Ayi J. Francisco d’Almeida, professeur associé à l’Université Senghor d’Alexandrie pour le développement africain
Expert des politiques culturelles et conseiller auprès d’instances nationales et internationales, telles que l’UNESCO, l’Organisation internationale de la Francophonie ou la Commission européenne, il apporte un éclairage sur l’enjeu que représente la culture dans les initiatives de développement.
La culture occupe une place croissante dans le débat international sur le développement et la coopération internationale. En effet, la croissance démographique, les inégalités socio-économiques et le changement climatique conduisent dorénavant à envisager une approche multidimensionnelle du processus de développement, dépassant la seule dimension économique.
La culture est un catalyseur et un moteur du développement, une manière d’habiter le monde, en relation à la nature et aux autres. C’est le socle sur lequel une société fonde son organisation et détermine le style de son évolution. Au travers de programmes de développement en lien avec l’identité, les valeurs et les modèles de comportement des communautés, la culture est un levier de mobilisation qui permet de faire face aux changements économiques et sociaux. Ainsi, l’efficacité des initiatives dédiées au développement dépend de leur ancrage dans leur patrimoine. Les acteurs culturels jouent donc un rôle essentiel pour préparer les changements de mentalité indispensables au développement et au dialogue des cultures.
Ainsi, comme à Durban (Afrique du Sud), au pays Dogon (Mali) et à Ouarzazate (Maroc), des collectivités locales cherchent à diversifier leur tissu économique et à créer des opportunités d’emploi pour les jeunes, en incluant, dans leur stratégie de développement local, la valorisation du patrimoine culturel et des expressions artistiques.
En misant sur leur patrimoine culturel et leur création artistique ces collectivités visent aussi à renforcer le lien social, à améliorer les conditions de vie des populations et à faire dialoguer les cultures. Par conséquent, nouer des partenariats avec les organisations de la société civile et les entreprises – au titre de leur responsabilité sociétale – est une opportunité pour les collectivités locales de nourrir le dialogue des expressions culturelles, dans la proximité avec les habitants.
BANDIAGARA : VALORISER LE PATRIMOINE CULTUREL En lien avec les communautés locales, la Mission culturelle de Bandiagara conduit depuis 20 ans un programme de sauvegarde et de promotion des patrimoines matériel et immatériel. S’appuyant sur l’attachement des Dogons à leur identité et sur leur forte tradition de solidarité, elle mobilise leurs savoir-faire et leurs expressions culturelles. La MCB crée pour les jeunes et les artisans des opportunités économiques, à travers des festivals et des circuits de tourisme culturel, la construction d’écoles et la restauration de sites culturels, selon les techniques locales et les matériaux disponibles dans le milieu naturel. S’ajoutent trois musées construits grâce à la mobilisation des habitants dont l’histoire et les métiers d’art sont ainsi mis en valeur. |
Nollywood
Un phénomène cinématographique 100% nigérian
Nollywood traduit le dynamisme culturel du Nigeria qui, outre sa musique et sa mode, exporte son cinéma en Afrique et dans le monde entier. Avec plus de 2 000 longs métrages par an, le Nigeria est le deuxième producteur de films au monde, derrière Bollywood et devant le tout-puissant Hollywood. Son industrie, née sans soutien extérieur à Lagos dans les années 1990 et désormais appelée « Nollywood », représente avec l’industrie musicale 2 % du PIB et emploie environ un million de personnes.
Serge Noukoué, cofondateur et directeur exécutif de la Nollywood Week, le festival du film nigérian en France
Comment évolue le cinéma nigérian ?
Cela fait une quinzaine d’années que le nombre de salles de cinéma se multiplie au Nigeria – moins de 10 salles de cinéma en 2004 contre près de 200 en 2018 –, et les productions locales y font une percée phénoménale depuis cinq ans. Après des années de ce que l’on pourrait qualifier d’amateurisme, le cinéma s’est professionnalisé ; les moyens technologiques ont fait un bond en avant et les cinéastes sont mieux formés. Les réalisateurs cherchent dorénavant à produire de la qualité. Ils visent une sortie en salle et une reconnaissance internationale.
Quelles en sont les spécificités ?
Populaire et authentique, ce cinéma affirme une vision du monde qui lui est propre, où l’Afrique n’est plus perçue au travers du seul prisme des Occidentaux. Les thématiques qui y sont abordées font écho aux réalités politiques, économiques et sociales du pays, tout en mettant en avant ses valeurs humaines et culturelles. Pourquoi le festival Nollywood Week ? Ce festival a été créé en 2013 à Paris, dans le but de faire découvrir chaque année au public parisien les meilleures productions cinématographiques nigérianes. Un pari fou, tant il y a de scepticisme en France à l’égard du cinéma africain et une méconnaissance du cinéma nigérian. Le succès de cette 7e édition prouve que nous avons eu raison d’y croire ! Entre décembre et février, nous lançons un appel à candidature. Les films sont ensuite visionnés avec un collectif de réalisateurs, de scénaristes et de membres de l’équipe du festival. Sur quatre jour, durant le festival, nous projetons les films sélectionnés pour leurs qualités scénaristiques et techniques.
Comment ce festival a-t-il évolué ?
Chaque année, nous essayons d’avoir un panel représentatif de ce qui se fait de mieux dans tous les genres (comédie, drame, thriller…) et dans des formats très diversifiés (longs métrages, courts métrages, séries TV…). Au fil des éditions, nous sommes parvenus à avoir un écho de plus en plus large dans la presse spécialisée, ce qui nous a permis de toucher toujours plus de monde. À la fin de chaque séance, nous avons des moments privilégiés d’échanges entre le public et les cinéastes. L’an prochain, nous lancerons des sessions de training sur des aspects particuliers du métier (prise de son, travail sur la lumière, animation…).
Pour la première fois cette année, la Nollywood Week s’est tenue simultanément à Paris et à Marseille. Est-ce la preuve que ce cinéma trouve son public en France ?
Si le chemin est encore long pour que le cinéma nigérian trouve pleinement sa place dans les salles françaises, nous sommes fiers d’avoir pu organiser en parallèle du festival parisien, un festival dans une autre ville, Marseille. C’est une vraie promesse d’espoir pour l’accès à un cinéma diversifié dans notre pays.

Populaire et authentique, le cinéma nigérian affirme une vision du monde qui lui est propre, où l’Afrique n’est plus perçue au travers du seul prisme des Occidentaux.
Africa2020
L'Afrique prend la parole
Initiée par Emmanuel Macron, le Président de la République française, la Saison Africa2020 se déroulera sur tout le territoire français (métropole et territoires ultramarins) du 1er juin à mi-décembre 2020. Dédiée aux 54 États du continent africain, la Saison Africa2020 est un projet hors normes. Conçue autour des grands défis du 21e siècle, elle présentera les points de vue de la société civile africaine du continent et de sa diaspora récente. Africa2020 sera la caisse de résonance de ces agents du changement qui impactent les sociétés contemporaines.
N’Goné Fall, commissaire générale d’Africa2020
Née en 1967 à Dakar, diplômée de l’École spéciale d’architecture de Paris, N’Goné Fall dirige pendant 8 ans la Revue noire. Commissaire d’expositions, elle a conçu des projets en Afrique, en Europe et aux États-Unis et devient ainsi une figure incontournable de la scène culturelle internationale. Elle aura pour mission de « faire découvrir en France, l’image d’une Afrique en mouvement et en pleine mutation », selon le communiqué du ministère de la Culture français.
Quelle est l’ambition d’Africa2020 ?
L’idée est de raconter l’Afrique telle que la vivent les Africains. C’est une invitation à regarder et à comprendre le monde selon leur point de vue, sans prisme français, en donnant leur vision des enjeux contemporains et en parlant de ce qui fait bouger les lignes : l’innovation, l’entreprenariat, le développement durable, les millenials qui réinventent le continent, etc. Africa2020 n’est pas une vitrine mais une rencontre : nous multiplions les regards que nous portons sur nos sociétés et le vivre-ensemble.
Africa2020 n’est pas une saison croisée…
Il n’y aura pas de programmation française en Afrique. C’est une première pour ce genre d’événement. Cela permet de sortir d’une logique de promotion événementielle. D’autant que j’ai carte blanche et que je suis fidèle à l’indépendance d’esprit dont j’ai toujours fait preuve, comme directrice de la rédaction du magazine d’art contemporain Revue Noire puis comme consultante en ingénierie culturelle.
Avec quel parti pris ?
Il n’y aura que des créations panafricaines et pluridisciplinaires inédites axées sur la création contemporaine, pas de labellisation de projets existants. Les initiatives sont portées par des acteurs africains, en co-construction avec des établissements culturels, scientifiques et d’enseignement supérieur français. Ce choix impose à de grands opérateurs habitués à travailler dans leur coin de trouver un partenaire africain et de collaborer ensemble en partant de zéro.
Comment la programmation est-elle structurée ?
La saison est bâtie sur cinq axes : la transmission orale des connaissances à l’heure du numérique, la redistribution des ressources et l’émancipation économique, l’histoire et la mémoire, les déplacements et la notion de territoire, et l’engagement citoyen via les systèmes de désobéissance. Les projets explorent un ou plusieurs de ces axes à travers l’art, l’économie, les sciences, les technologies, la gastronomie, le design, la mode, l’architecture et les sports urbains. Espaces de partage de savoirs, d’échange d’expériences et d’interactions, de médiation et de mentorat, ils doivent favoriser l’intelligence collective. Des « QG », centres culturels panafricains temporaires, vont aussi être mis en place dans plusieurs villes pour fidéliser un public de proximité.
Comment parvient-on à monter un projet d’une telle ampleur ?
L’un des défis est d’installer une programmation au-delà de Paris et des grandes capitales de province, d’aller vers tous les publics. Avec Noël Corbin, le commissaire général adjoint, nous avons fait un tour des capitales régionales de l’Hexagone pour expliquer l’ambition de la saison et trouver des intervenants qui aient le bon état d’esprit. C’est un marathon en mode sprint, car nous n’avions que deux ans pour réaliser ce projet. Mais je préfère retenir 10 créations originales extraordinaires plutôt que valider 300 projets réarrangés « façon africaine » !

Africa2020 n’est pas une vitrine mais une rencontre : nous multiplions les regards que nous portons sur nos sociétés et le vivre ensemble.
Promouvoir des cultures plurielles et vivantes pour s’épanouir en toute humanité
Présent dans 130 pays, notre Groupe sait l’importance du dialogue entre les cultures et du patrimoine pour favoriser le respect de la différence, l’ouverture, le vivre-ensemble, l’épanouissement et les droits de l’homme.
Anne-Claire Lienhardt, responsable Culture et Patrimoine au sein de la direction Engagement Société Civile de Total
Face à la mondialisation et au besoin de compréhension mutuelle, il est essentiel de valoriser les spécificités et la diversité des richesses culturelles des régions où nous intervenons. À travers les initiatives que nous soutenons, nous voulons contribuer à tisser des liens, renforcer la liberté d’expression, créer une valeur partagée et faire rayonner ces territoires. Nous croyons que le rapprochement d’identités plurielles est un moyen de s’ouvrir au monde, de gagner en tolérance et en curiosité.
La protection du patrimoine, la pratique créative et la transmission artistique contribuent à l’exercice et à la diffusion de cultures foisonnantes et vivantes, sources d’ouverture, de liberté et de non-discrimination. En particulier, l’accès à la culture et à l’éducation artistique jouent un rôle clé d’acquisition de compétences sociales, d’émancipation, d’insertion et d’épanouissement de la jeunesse.
Nous finançons donc des projets qui intègrent la culture comme vecteur de développement des territoires et des jeunes, en synergie étroite avec les acteurs pertinents et en favorisant le pouvoir d’agir des communautés locales, pour amplifier leur impact sur le terrain.
Nous œuvrons à la préservation et à la transmission du patrimoine au travers de chantiers de restauration ou d’expositions. Au Nigeria, notre filiale locale a notamment participé à la mission archéologique Ife-Sungbo, à la découverte du berceau de la civilisation Yoruba.
Nous soutenons la jeune création contemporaine et l’émergence de projets artistiques novateurs, comme lors de l’édition 2018 de la biennale d’art de Kampala. Nous favorisons l’éducation artistique pour les jeunes en fragilité sociale et l’accès à la culture des publics éloignés. Entre autres initiatives, nous avons apporté en Afrique du Sud un soutien financier au Sibikwa Arts Centre et à Buskaid Sowet, deux structures spécialisées dans l’apprentissage de pratiques artistiques pour les jeunes issus de milieux défavorisés.
À KAMPALA, TOTAL SOUTIENT LA JEUNE CRÉATION AFRICAINE Depuis 2014, la biennale de Kampala constitue un rendez-vous incontournable de la scène artistique africaine contemporaine en Ouganda. Orchestrée par Simon Njami, commissaire d’exposition et critique d’art camerounais influent, l’édition 2018 a permis de présenter les productions d’artistes de tout le continent et de programmer des rencontres qui contribuent à affirmer la position de la création africaine au niveau mondial. Dans ce cadre, Total a apporté son soutien à une initiative de transmission et de dialogue originale. Sept artistes africains de renommée internationale ont accueilli en résidence 35 jeunes artistes issus de différents pays d’Afrique pendant 10 jours. Ce partage et ce dialogue artistique entre maîtres confirmés et jeune garde émergente ont permis d’engendrer la création de plusieurs œuvres collectives et personnelles inédites. Certaines de ces pièces ont été exposées pendant la biennale. Associées aux temps forts de ce rendez-vous via le mécénat de Total Foundation, les équipes de Total Ouganda ont également participé à des activités avec les jeunes artistes en résidence, notamment à un atelier avec le commissaire Simon Njami, pour évoquer la question de l’art et de la pensée critique dans leur environnement quotidien. |