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Dialogue des cultures et Patrimoine - 3 questions à Jenny Mbaye

Engagé pour le dialogue des cultures

Dans tous les territoires qui nous accueillent, le patrimoine, héritage des générations antérieures, est un bien commun fondateur de l’identité des communautés et structurant pour leur avenir. La culture, moteur d’ouverture et d’émancipation, permet d’élargir les horizons et de développer des qualités essentielles à la cohésion sociale. La culture est aussi un facteur de vitalité et d’attractivité des territoires à l’origine de nombreuses opportunités d’emplois, de développement touristique et économique. Le respect de la diversité de cultures, de religions, de profils, de sensibilités constitue une dimension fondamentale. Trois leviers pour encourager diverses facettes de la culture : préserver et faire rayonner le patrimoine, accompagner la jeune création et l’émergence de projets artistiques novateurs et inclusifs, favoriser l’accès à la culture et à l’éducation artistique pour les jeunes en fragilité sociale.

3 questions à Jenny Mbaye
Maître de conférence à la City University of London

Jenny Mbaye est maître de conférence à la City University of London, spécialiste des économies culturelles en Afrique subsaharienne et des pratiques politiques liées à la créativité urbaine. D’après elle, le dialogue culturel dans les contextes africains est porté par la société civile

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Quelle est la situation actuelle de la culture sur le continent ?

En Afrique, le secteur des arts et de la culture est marqué comme ailleurs par la précarité de l’emploi, des lacunes dans la protection sociale et l’impact du numérique sur les revenus des artistes. Cet écosystème fragile repose sur deux piliers, le soutien à la création et sa diffusion, nourris par l’éducation et l’accès au financement. Or, sur ce continent, les formations artistiques ou culturelles sont trop peu nombreuses. Quant aux financements, ils sont clairsemés : l’industrie culturelle et créative, qui fonctionne par appels à projets, déroute encore. Enfin, l’héritage colonial a façonné le patrimoine et l’approche culturelle, avec des pouvoirs publics omniprésents ou inexistants. Ces douloureuses rémanences coloniales, les colonial hangovers, chuchotent souvent une certaine version de l’Histoire. Tout cela influe sur les modes de fonctionnement et de gouvernance de la culture, les façons d’envisager et d’imaginer le passé, et le présent.

Y a-t-il une conception panafricaine de la culture en Afrique ?

La situation est contrastée : nous parlons de 55 pays aux réalités disparates, avec leurs pratiques et trajectoires culturelles propres. Cette diversité est propice au dialogue, mais face aux institutions parfois défaillantes et à l’absence d’une réelle politique culturelle locale, ce sont des initiatives indépendantes qui fleurissent un peu partout en Afrique et l’engagent. À l’œuvre dans de nombreuses villes, de Dakar à Cape Town, ce dialogue s’appuie sur des collectifs de citoyens souvent jeunes, concernés par les enjeux culturels, qui ont la volonté d’appréhender et d’investir l’art, la culture et le patrimoine comme fondement d’une création de liens, de communautés et de renouveau. Cette force motrice de la société civile fédère des énergies et fait travailler des gens ensemble, qui se réapproprient les bases de la conversation, mettent en lumière des buts communs et fixent une nouvelle gouvernance. Pionnière, elle fait émerger une culture vivante et des communautés de pratiques organisées par réseaux, de collectifs en collectifs, tissant leur toile et structurant tout un écosystème, de l’éducation à la diffusion de l’art.

"En Afrique, la société civile tisse un dialogue culturel qui raconte une autre histoire"
Jenny Mbaye, maître de conférence à la City University of London

Avez-vous des exemples d'initiatives en faveur de la diffusion de la culture sur le continent ? 

Au Mali, la ville de Ségou illustre ce phénomène. Créé en 2005 par un hôtelier de la région, son Festival sur le Niger est devenu un événement national, poussant même le gouvernement local à lancer sa première politique culturelle. Autre exemple, la communauté de jeunes entrepreneurs AfCFTA Tech and Creative Group se mobilise sur le continent pour ouvrir la zone de libre-échange africaine au marché de la technologie et de la création. Le dialogue s’instaure aussi entre collectifs de différents pays. L’association marocaine Afrikayna tisse ainsi des liens artistiques avec les pays subsahariens, notamment via son Instrumenthèque, une collection d’instruments de musique d’Afrique. Toutes ces initiatives s’érigent en centrales de production, de création et de redistribution. Elles bâtissent de véritables institutions alternatives, qui changent la donne en déployant des espaces créatifs et les moyens de leur politique culturelle. Cette institution building de la société civile africaine est un puissant vecteur de changement. Car la culture est avant tout la production d’un système de pensée et d’un storytelling, une mise en récits qui ouvre, par la puissance de l’imagination, sur des schémas nouveaux et des valeurs singulières permettant de se réinventer. Or, ces citoyens racontent justement une histoire différente, sur nous-mêmes, à nous-mêmes, pour nous-mêmes.

CHIFFRES CLÉS POUR COMPRENDRE :

  • Le secteur culturel africain génère 58Mds$ de bénéfice par an et emploie plus de 2,4 M de personnes
  • Plus de 1 500 langues et dialectes sont parlés en Afrique
  • 18 prix Nobel sont africains
  • 25% de l’humanité vivra en Afrique en 2050
  • Nollywood constitue la seconde industrie cinématographique au monde, c’est le second plus gros employeur nigérian avec 300 000 emplois directs.